Quelles recherches scientifiques sur le linceul de Turin ?
Bonus de l’historien Jean-Christian Petitfils tiré de son livre Jésus : en annexes, se trouve tout un chapitre intitulé Les reliques de la Passion. Il y est largement question du linceul de Turin : extraits choisis, ici sur les recherches scientifiques, après la page d’histoire.
L’histoire du linceul prit un nouveau départ lorsqu’un avocat italien, le chevalier Secondo Pia, le photographia pour la première fois le 28 mai 1898. Ce fut le début de la période scientifique. Jusque-là, sur le linge, on ne voyait presque rien, hormis quelques taches jaune paille, de faible contraste, et quelques plaques de sang rose carminé. Près du tissu, ce ne sont qu’ombres sans contours nets. À deux mètres de distance, l’impression déroutante s’estompe : apparaît la représentation d’un homme flagellé et crucifié.
Alors que, dans la pénombre de son laboratoire, Secondo Pia sortait sa première plaque du bain révélateur, une violente émotion s’empara de lui. Le verre faillit lui échapper. Ce qu’il vit, nul avant lui ne l’avait contemplé depuis près de dix-neuf siècles : une bouleversante image, criante de vérité, celle d’un homme de douleur, d’une mystérieuse et fascinante beauté, « dignement, sereinement, majestueusement figé dans la mort! Le modelé était d’une saisissante netteté. Seule l’inversion des zones claires et sombres avait permis un tel prodige. « Je restai comme glacé », confia-t-il. Le chevalier Pia comprit que le linceul avait la propriété — insoupçonnée jusque-là — d’un négatif optique : négatif sur négatif donne un positif. En 1931, un photographe professionnel, Giuseppe Enrie, confirma la découverte et produisit des clichés d’une bien meilleure résolution. Les lésions y apparaissaient avec une exactitude irréprochable, sur le plan tant anatomique que circulatoire.
À partir de là, fleurirent une multitude d’études médico-légales, dont celle, remarquable, de Pierre Barbet, chirurgien à l’hôpital Saint-Joseph de Paris (1).
Le biologiste Paul Vignon établit vingt points de convergence entre le visage de l’homme du linceul et les icônes ou portraits du Christ de l’art chrétien. L’un des plus frappants est une grosse goutte de Sang en forme d’epsilon (ou de 3 renversé) ayant coulé le long des sinuosités du front, attribuable à la contraction douloureuse du muscle facial : les peintres, dès le VI siècle, la prirent pour une mèche de cheveux ! Un autre est une ligne transversale sous le menton, due à un mauvais pli du tissu : il a été repris par la tradition artistique. Pour Paul Vignon et beaucoup d’autres, aucun doute n’est possible, le modèle canonique du Christ adopté depuis la redécouverte du linge à Édesse ne peut venir que de la mystérieuse empreinte aujourd’hui conservée à Turin.
Les recherches scientifiques se poursuivirent en 1969, 1973 et surtout 1978. C’est alors que se créa le STURP (Shroud of Turin Research Project) composé de trente-trois chercheurs multidisciplinaires, en majorité américains. L’appareillage le plus moderne fut utilisé. Aux trois mille clichés photographiques pris s’ajoutèrent des tests microchimiques, des spectrographies, des études de radiométrie infrarouge, de microscopie optique, de fluorescence ultraviolette…
Les premières conclusions des experts sont certaines. L’hypothèse d’une peinture est à écarter. Les quelques copies naïves et maladroites parvenues jusqu’à nous montrent à l’évidence qu’aucun artiste antique ou médiéval n’aurait été capable d’un travail si minutieux. Quel peintre, aujourd’hui encore, pourrait réaliser une toile sans laisser la moindre trace de coups de pinceau ni de pigments colorés ? Le microscope électronique n’a trouvé aucune direction picturale, mieux encore aucun contour.
Il en ressort qu’il s’agit d’une image acheiropoïète, quasi indélébile, résistante à la chaleur et à l’eau, isotrope (c’est-à-dire sans effet directionnel), comme l’ont établi en 1976 Donald J. Lynn et Jean J. Lorre, du Jet Propulsion Laboratory de Pasadena (Californie). Cela exclut également l’hypothèse d’un frottis, d’une application sur toile d’un bas-relief de bois ou de marbre, voire d’une statue métallique préalablement chauffée. Les déformations obtenues avec ces méthodes nous éloignent de l’image parfaite du linceul. Impossible matériellement que le linceul soit une œuvre d’art.
On sait depuis les travaux de deux chercheurs du STURP, les docteurs John H. Heller et Alan D. Adler, que les taches rose carminé à l’endroit des plaies sont bien des taches de sang, de sang humain. Ces taches correspondent avec une précision absolue à l’anatomie du corps représenté et à son système artériel et veineux (2) apparaître des lésions, des écorchures, invisibles jusque-là.
L’image — à peu près tous les chercheurs sont d’accord sur ce point — s’est produite par émanation à distance, par projection orthogonale, faisant disparaître tout aspect latéral. Elle est formée par une oxydation acide et déshydratante de la cellulose du lin. Ce léger brunissement dégradé, n’affectant que le sommet des fibrilles sur une épaisseur de vingt à quarante microns, varie d’intensité en fonction de la distance entre le corps et le drap. Une telle particularité a permis à l’ingénieur français Paul Gastineau, puis à deux physiciens de l’U.S. Air Force Academy, John P. Jackson, docteur en astrophysique, et Eric J. Jumper, docteur en thermodynamique, de reproduire, le premier en 1974 avec un lecteur d’intensité lumineuse, les deux autres en 1976 avec un analyseur VP 8 de la Nasa, une image tridimensionnelle du linceul — en relief par conséquent —, phénomène irréalisable avec un dessin ou un décalque de corps (3).
Les multiples concordances entre le linge et les textes évangéliques, les études iconographiques et les recherches pluridisciplinaires de 1978 (six tonnes de matériel disposées en soixante-douze caisses, cinq jours de collecte d’informations, plus de cent cinq. Les clichés en lumière ultraviolette ont fait quante mille heures de travail) constituaient de solides et fermes témoignages en faveur de l’authenticité.
Notes
(1) Pierre Barbet, La Passion de N.-S. Jésus-Christ selon le chirurgien, Issoudun, Dillen, 1950.
(2) John H. Heller, Enquête sur le Saint Suaire de Turin, Paris, Sand, 1985.
(3) Une première expérience dite de « photosculpture » avait été faite dès 1913 par Gabriel Quidor.